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2 juin 2010 3 02 /06 /juin /2010 17:12

Paris le 12 Xbre 1858

 

Monsieur,

 

Pardonnez-moi si je prends la liberté de vous dédier des vers : c’est que, me sentant quelque goût pour la poésie, j’éprouve le besoin de m’en ouvrir à un maître habile, et à qui pourrais-je mieux qu’à vous, monsieur, confier les premiers pas d’un élève de quatrième, âgé d’un peu plus de quatorze ans, dans l’orageuse carrière de la poésie ?

 

La Mort

Telle qu’un moissonneur, dont l’aveugle faucille, Abat le frais bleuet, comme le dur chardon ; Telle qu’un plomb cruel, qui, dans sa course, brille, Siffle, et, fendant les airs vous frappe sans pardon :

Telle l’affreuse mort sur un dragon se montre, Passant comme un tonnerre au milieu des humains, Renversant, foudroyant tout ce qu’elle rencontre Et tenant une faulx dans ses livides mains.

Riche, vieux, jeune, pauvre, à son lugubre empire Tout le monde obéit ; dans le cœur des mortels Le monstre plonge, hélas ! ses ongles de vampire ! Il s’acharne aux enfants, tout comme aux criminels :

Aigle fier et serein, quand du haut de ton aire Tu vois sur l’univers planer ce noir vautour, Le mépris (n’est-ce pas, plutôt que la colère) Magnanime génie, dans ton cœur, à son tour ?

Mais, tout en dédaignant la mort et ses alarmes, Hugo, tu t’apitoies sur les tristes vaincus ; Tu sais, quand il le faut, répandre quelques larmes, Quelques larmes d’amour pour ceux qui ne sont plus.

 

P. Verlaine

 

Si vous voulez bien, monsieur, me faire l’honneur de me répondre, adressez ainsi votre lettre :

Monsieur Paul Verlaine, rue Truffaut, 28 A Batignolles près Paris.

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