Lettre pneumatique 28 décembre 1943
Monsieur Marc Barbezat
Cher monsieur,
Je suis dans une inquiétude inouïe. J’espérais vous voir, au moins libéré dès ce matin. J’ai été conduit là directement au poste de police, où je suis consigné au Dépôt, en attendant que le Préfét de Police m’envoie comme indésirable, dans un camp de concentration. Voulez-vous tout de suite téléphoner cela à Cocteau et qu’il voit lui-même le Préfet et Toesca. Pas possible qu’on me laisse là sans rien dire ni faire , auprès d’un camp de concentration. On me reproche de n’avoir aucun moyen légal d’existence. J’ai beau répondre que j’écris, on ne croit pas que cela puisse me faire vivre. Quel est donc ce projet dont vous vouliez m’entretenir ? Etes-vous décidé à prendre N.D.des Fleurs ? Si oui, voyez vous-même, le Préfet et affirmez-lui que je gagnerai de l’argent avec mon livre. Je vous en prie faites cela. Ma liberté dépend de sa décision. Il ne me reste rien en poche. Plus de tabac.( ?) Venez vite à la Préfecture. Je vous le demande comme un service grave. J’ai sur moi les 350 pages du Miracle de la Rose, qu’il ne permette pas qu’il me soit refusé de le finir librement.
Je vous serre la main
Jean Genet